(entre les tombes,
qu'entre l’hécatombe)
T'en aurais presque le mal de terre. Quasiment une année entière est passée, sans que sur le sol tes pieds aient été posés. T'as plus l'habitude. Kraken ne sait être à l'aise que sur les mers. Déjà gamine tu passais ton temps à courir vers elles. Et aujourd'hui, les bras paternels qui retenaient ta course ne sont plus. Personne pour t'empêcher de te tremper jusqu'à l'os. Personne pour te tenir quand tu te penches trop près du bord. Personne pour te tendre la main et monter à bord.
Il n'est plus. T'arrive toujours pas à y croire. Tes vaines recherches devaient t'aider à te faire une raison. T'étais pas là quand c'est arrivé. T'as rien vu. Ton cerveau s'en retrouve incapable de digérer l'information.
(Ton cerveau?)(Ou ton coeur?)
(Ton âme.)
Comment tu pourrais accepter quelque chose d'aussi infâme? Comment l'imaginer? T'as hurlé son nom entre les vagues. Manqué d'air un million de fois en sillonnant les fonds. Maudit le ciel et la mer de te refuser sa dépouille. Comment t'aurais pu faire ton deuil? T'entends sa voix dans tes songes, te réveilles en sursaut pour le chercher sur sa couchette.
Vide. Sur le pont.
Vide. A la barre.
Vide. Y avait toujours que toi et le vent. T'as cru devenir folle. T'aurais peut-être préféré l'être. Ça aurait été plus simple. Mais tu t'es raccrochée à la raison malgré toi. A travers cette famille qui te restait. Qui t'attendait. Tes appels se sont fait rares. Toujours trop brusques. Toujours trop courts. Pas capable de tenir plus de quelques phrases. Ils auraient pu te faire changer d'avis. Te raisonner.
Pas question. T'étais pas prête. Ni à l'abandonner. Ni à leur faire face. Eux qui lui ressemblent tellement. T'as fuis pour ça. Tu pouvais pas le supporter. T'aurais
pas pu le supporter.
T'y repenses. A ce jour. Quand Salazar est revenu sans lui. Son regard. Tu l'oublieras jamais. Tu t'es sentie partir. Tu t'es sentie sombrer. Et t'as fuis aussitôt.
Tu savais. Tu savais que si tu restais avec eux, tu te serais effondrée. Et t'as eu peur de jamais te relever.
Putain de trouillarde. C'est pour ça que t'as défié les tempêtes? Pour ça que t'as risqué ta vie inutilement? Que t'as fuis ceux dont t'avais le plus besoin? T'en as été malade. Malade de rage. Malade de douleur.
(Malade de toi-même...)
Ah, te v'là belle tiens. La fille prodigue et son grand retour. Que t'es pathétique à voir. L'orpheline en déni venue se recueillir sur tombe factice. C'est pas la première des Howler. Déposes tristes coquillages à leur tête. Pierres entassées en monticules ridicules. Un coup de pied les mettrait à terre. Mais peut-être que c'est bien là l'ironie de vos vies. Vous vous sentez forts et invincibles, jusqu'à ce qu'on vienne vous faire vous écrouler sur vous-mêmes d'une pichenette fatidique. Il suffirait d'un ouragan pour tout effacer. Et oublier ceux qui sont sous vos pieds.
Tout oublier. Ainsi sont vos existences. Éphémères. Fragiles. Illusoires. Ça te fout la hargne. Il te reste plus que ça maintenant. Colle irrégulière qui rassemble les morceaux de ton palpitant déchiré. Colle de mauvaise qualité, s'effrite lentement en emportant des bouts avec elle. T'en sortiras pas indemne. Et peut-être que tu t'en fous.
Là. Le cul sur l'herbe humide, le vent dans l'dos. Tu sais plus c'qui a d'importance. Tu sais plus ce qui compte. T'as besoin qu'on te le rappelle. Spectre que t'as écarté revient te hanter. Tu sens le froid de son ombre autant que la chaleur de son être. T'oses pas lever la tête. Crains qu'il te reconnaisse pas sous tes traits amers. Tu veux dire un truc. Mais rien ne sort. Tout te semble stupide. Sans aucun sens. T'essaies de te mettre à sa place. D'entrer dans sa caboche.
« No, you're not dreamin', am here for real... » Vérité, c'est que même toi t'as du mal à y croire. T'aurais pas cru avoir la force de revenir un jour. Mais ça fait un an
aujourd'hui... Comment t'aurais pu ne pas rentrer?