‎ ‎ ‎ Tristesse gluante poissant le cœur féroce pourtant habitué à délivrer la mort dans un écrin de douceur morbide ; la rage flambant dans le ventre et la mélancholie ravageant la poitrine, Darcy échoue à emprisonner les pensées qui tentent de percer les défenses faiblement érigées des lambeaux de son esprit. Les pas automatiques se succèdent sans que l’âme en peine n’y pense tout à fait, menant sa carcasse à la dérive vers le devoir qui l’active. J’me perds dans l’pétrole d’mes illusions ; y m’agrippe, y m’retient au sol – les ailes poissées d’poison, j’perds la raison à r’ssasser l’abîme qu’habite l’regard d’mes victimes. Il devrait chasser ces émotions, les laisser passer comme la tempête déchaînée qui finit toujours par s’atténuer, puis disparaître ; mais il s’y accroche, le fou, désespoir au garde-à-vous. Il n’en peut plus, de ces multiples identités enfilées sur un collier trop long, trop lourd pour être porté ; arborer sa dague en guise de bouclier n’est plus suffisant pour repousser la culpabilité. Dissonance s’invite dans son crâne martelé de contradiction dévorantes.
‎ ‎ ‎ Le nez sur le pavé, comme un limier toqué, il se laisse glisser dans un rôle d’habitué. J’me traîne jusqu’à la p’tiote naïve, l’agneau trop doux qui cajole l’loup sans s’rendre compte qu’il pourrait ben l’écharper sans pitié. L’herboristerie se dessine, siégeant comme en haut d’une colline émergeant du brouillard de son chaos intérieur ; lui remet vaguement les idées en place – car de place ici, il n’en a pas hormis sous l’égide du client effacé qui se complaît parfois à chanter tout bas, espérant qu’on ne reconnaisse pas sa voix. Pas à pas, il engloutit le chemin sinuant jusqu’à la boutique ; pousse la porte dans un silence de prédateur aux allures de timide fleur tremblant sous l’assaut du vent bienveillant. Immédiatement, le regard enveloppant de Zora Blomgren le cloue sur place – toujours surprenant, décalé, immérité. Se râcle la gorge d’un air emprunté – étudié, en réalité –, se coule dans la pâte façonnée habilement au fil des années pour correspondre à l’idée que se fait la jeune fille de ce jeune homme hébété venant parfois quémander des herbes aux propriétés détournées. En dépit de ses efforts, semble préoccupé ; par un souci mineur ou majeur peut-être, mais surtout par un souci d’ordre commun – un souci de bonnes gens bien sur elles qui ne s’enfuient pas à tire-d’aile après avoir égorgé un mouton distrait.
‎ ‎ ‎ Darcy s’avance à l’intérieur sur ses longues jambes de danseur, besace battant le flanc indifférent aux chocs répétés. Boucles noires mangent les joues tandis que les yeux valsent de droite à gauche pour éviter l’intérêt trop prononcé de la petite Blomgren. “Hi” lance-t-il à mi-voix, sans vraiment prendre le temps de regarder la blanche oie. Se fond dans un marmottement chantonnant, incompréhensible et insaisissable, vaguement inconscient du monde qui l’entoure et qu’il s’échine à ignorer dans l’espoir qu’il pourrait disparaître. Effleure du bout des doigts les fleurs, les tiges et les feuilles qu’il convoite, flâne un instant – sans doute trop longtemps –, puis se hisse malgré le cœur en berne jusqu’au comptoir habité. “I’ll take these one” annonce-t-il en désignant les beautés fanées de curieuses herbes dont le secret réside en une préparation mortelle. Regard s’égare à nouveau sur les étagères fleuries, sans s’apercevoir que son profil mélancolique attise la curiosité et l’empathie de la jeune femme à son côté.

@zora blomgren
crédit; vixen (code), timus (icon), marya hornbacher (citation)

‎ ‎ ‎Les minutes s’égrainent avec une lenteur presque paresseuse. Silence s’étend sur la petite herboristerie, la majorité des habitués passés plus tôt dans la journée, les quelques autres curieux ne viendrait que lorsque sa présence serait confirmés par le bouche à oreille, sachant que la kraken s’envolait toujours l’espace de quelques jours par mois. Que ce soit pour remplir de nouveau ses étagères ou quelconque aventures, la petite sorcière suffisamment étrange pour que personne ne se pose vraiment de question.

Les secondes s’allongent alors qu’elle feuillette un des vieux carnets, survolent l’écriture du protecteur depuis longtemps disparu. S’occupe les méninges pour chasser les élans de mélancolie. Les feuilles douces sous ses phalanges, jaunies par le temps qui ne cesse de s’écouler. Inéluctable ou presque. L’esprit s’envole, cogite sur une nouvelle idée. Sur ceux épargnés par les années qui défilent, figés entre deux battements de coeur. Bloqués entre la vie et la mort, condamnés à errer sur terres et mers jusqu’à trouver la cause de leurs trépas. Serait-il possible d’y trouver une autre solution ? Un remède ? Qu’il soit temporaire ou pérenne. De leur ramener cette mémoire qui semble leur faire défaut, de leur redonner un modicum de cette identité effacée par une terrible malédiction qui les empêche parfois d’avancer ? Les pages se tournent, s’arrêtent sur les pétales immaculées qui ne cessent d’attirer son attention. Pourrait-elle faire plus que de simplement effacer la mémoire sur quelques heures ? Peut-être en alliant la plante avec d’autres dans la confection d’une confection ? A moins d’en utiliser qu’une partie. Les fruits ? A moins que ce ne soit les racines ?  Le symbolisme en serait particulièrement intéressant. .

La porte s’ouvre et l’arrache à sa contemplation. Les céruléennes se posent sur la silhouette familière d’un de ses clients particuliers. « Hello there » qu’elle pépie sans véritablement s’attendre à une réponse. Les mirettes, pourtant, le suivent, analysent les épaules légèrement tombantes avec curiosité. Le silence s’efface, remplacé par les marmonnement chantant qui étire un sourire sur les lèvres de la petite sorcière. Elle l’écoute, recommence tranquillement à feuilleter les pages et lui laisse un peu d’intimité. « It will cost 10 solarions. Do you need any advice concerning those plants ? » Question habituelle bien que probablement inutile alors qu’il semblait savoir exactement ce qu’il désirait. « You really seem troubled today. » qu’elle souffle en douceur, les yeux rivés sur ses traits mélancolique. « Do you have some free time ? I’d like to show you something. It’s not too far away, I promise. And I think it could help you. » Et déjà la gamine se redresse, le carnet fermé avec précaution et remis dans sa besace. « Follow me, it was almost time for me to close, anyway. » Sourire rassurant adressé à son encontre alors qu’elle atteint déjà la porte.

@Darcy Arledge
crédit; vixen (code), pinterest (icon), kate jacobs (citation)

‎ ‎ ‎ Ô, Zora, doux oiseau qui s’égare et pépie sans penser que ses mots peuvent assassiner le meurtrier. Autre emplumé d’une nature oxymorique, Darcy sait qu’il est du genre à faire la nique aux nuques tendres plutôt qu’à se contenter de chanter un air innocent. Ombre et lumière, soleil et lune peut-être complémentaires, mais qui ne devraient jamais respirer le même air. Une limite claire distingue les pauvres hères s’observant en chiens de faïence d’un bout à l’autre du navire tanguant de la vie ; prêt à virer de bord à tout instant. Ça, la douce ne semble pas l’avoir compris ; probablement puisqu’elle n’a pas saisi qui se dresse dans son herboristerie. N'est qu’agneau ignorant, même jamais tondu par le moindre passant. Pitié se hisse en étendard noir au cœur de cette poitrine trouée qu’il se traîne ; ouverte sur une béance saisissante, permanence des péchés qui polissent la peau et pourrissent les entrailles. J’me traîne comme un zombie trop vif, cervelle mangée d’chaos plutôt qu’mangeur de cerveaux. Potion d’oubli, c’est après cet élixir que coure son cœur.
‎ ‎ Élégante caboche cernée de lourdes boucles couleur nuitée s’incline poliment en guise de remerciement ; saveur du mensonge au bout de l’apex trempé de sang empoisonné. “No, thank you.” Conseils aimablement dégagés d’un geste faussement timide du poignet ; fait tomber les pièces sur le comptoir dans un bruit de pétard que seule perçoit la drôle d’espèce sanguinaire qu’il embrasse jusqu’à planter ses crocs dans la moelle. S’apprête à tourner les talons, mutant en fier étalon pour sa prochaine escale, mais doux mots tombés des fraîches lippes inquiétées le figent en stupeur sincère. Percé à jour par la tendre proie qui n’est pas censée percevoir le moindre véritable trouble. Sa bouche demeure scellée comme un tombeau fracturé, un instant étourdi par la faiblesse mise au jour. J’me sens minable, instable, incapable. Quel connard j’fais d’me laisser embourber dans c’pétrole qui m’grignote les ailes ; m’voilà piégé par la première ingénue v’nue. Zora ne se décourage pas ; ne lit pas son silence comme une offense. S’empare de ses affaires, se redresse et lui tresse une corde comme il n’en a jamais vue ; celle qu’on jette aux rescapés tombés dans l’abysse pour les hisser hors de leurs tourments – et non celle à laquelle il est habitué, corde par laquelle on pend les traîtres. Hésitation marque la face pâle du garçon écartelé entre mille visages, talons assassins ancrés dans le sol comme pour l’empêcher de céder. Mais le reste se délie, s’avance, s’enfuit – il rejoint la jolie, sans lui retourner son sourire. “Mmh, ok, then. I guess some fresh air isn’t a bad idea, after all.” Bien sûr que c’est une mauvaise idée, mais la révolte est entêtée dans le crâne du cabot cabré.

@zora blomgren
crédit; vixen (code), timus (icon), marya hornbacher (citation)